« Comparé avec d’autres régions inuites dans le grand Nord, on a bien reçu… mais à quel prix ? » se demande Tunu Napartuk, négociateur adjoint pour l’autodétermination du Nunavik à la Société Makivik, l’organisation inuite qui représente les Inuit du Québec.
Il y a cinquante ans, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois a sauvé les Inuit et les Cris du Nord du Québec de l’inondation de leurs terres et de la transformation totale de leur mode de vie. Elle a aussi été le point de départ d’une évolution qui a profondément marqué ces communautés. La convention a été progressivement mise en œuvre, accordant aux Inuit et aux Cris des commissions scolaires, l’accès aux services de santé, une intégration dans l’économie canadienne et bien plus encore.
Cependant, comme le soulignent les leaders communautaires, le coût a été élevé. Dans cet épisode, Tunu Napartuk raconte comment la CBJNQ est arrivée dans une communauté qui, seulement vingt ans plus tôt, avait été forcée de devenir sédentaire. Ensuite, le Grand Chef Paul John Murdoch revient sur la bataille juridique historique et explique comment l’accord continue d’apporter de l’espoir aux Cris d’Eeyou Istchee.
Listen to the episode:
Narration: La Baie James: En 1971, pour la majorité des Québécois, c’est l’inconnu. Pour Robert Bourassa. Cette terre de Kaïn, comme on l’appelle, c’est une terre promise.
Robert Bourassa: Développer l’hydroélectricité, c’est conquérir le nord du Québec!
Ariane Simard Côté: C’était l’ancien premier ministre du Québec, Robert Bourassa. Vous le connaissez sans doute déjà. Dans cet extrait, Bourassa parlait de ce qu’il croyait être l’avenir du Québec. Une immense série de barrages hydroélectriques dans le nord-ouest de la province, connue sous le nom de projet de la Baie James. Dès le départ, Bourassa le qualifié d’historique, le projet du siècle. Et il avait raison. Des terres ancestrales autochtones menacées. Une bataille juridique qui dura des années et une alliance entre les Cris et les Inuits qui, en 1975, a mené au tout premier traité moderne de l’histoire du Canada. Bienvenue à Voyages dans l’histoire canadienne, un balado qui décortique les moments marquants et parfois les vérités dérangeantes de l’histoire de notre pays. Ce balado est financé par Patrimoine canadien et produit par The Walrus Lab. Je suis votre animatrice, Ariane Simard Côté. Voici l’histoire de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.
Tunu Napartuk: Il y a presque pas de bruit autour du sage du village Kuujjuaq et 3000 personnes. Maintenant, c’est comme le capital administratif de la région. Pis ça prend cinq minutes dans nos communautés de sortir de nos villages.
Ariane Simard Côté: Vous écoutez Tunu Napartuk. Monsieur Napartuk a été maire de Kuujjuaq à deux reprises. Aujourd’hui, il est négociateur adjoint pour l’autodétermination du Nunavik à la société Makivik, l’organisation inuit qui représente les Inuits du Québec. La société Makivik a été fondée en 1978 dans le cadre de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.
Tunu Napartuk: Il y a presque pas de bruit. Puis on voit un tas qui est presque plat. La plupart. Puis de plus loin tu veux voir ces gestes. l’Environnement, c’est la terre. Il n’y a presque pas de d’arbres et c’est vraiment extrêmement vierge. L’air est pur. Tu peux sentir l’air avec le soleil, et il n’y a rien. Si tu veux aller chasser, vous allez trouver des animaux, mais la première chose que tu sens qui était dans un milieu où il y a personne d’autre, tu es tout seul. Le sens de paix est énorme. Vous pouvez sentir. Tu peux respirer avec beaucoup de paix.
Ariane Simard Côté: Si tu es au-delà du 55ᵉ parallèle, c’est à dire bien au nord, le Nunavik se trouve à 2 h et demie de vol de Montréal. Son immense territoire représente le tiers de la superficie du Québec. Environ quatorze mille personnes habitent le Nunavik. Entre le froid extrême, les rivières gelées, la neige, les caribous et les arbustes. Elles vivent dans quatorze communautés différentes et plus de 90 % d’entre elles sont Inuits, dont beaucoup sont bénéficiaires de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.
Tunu Napartuk: Si tu y vas pour chasser, vous allez trouver où sont les caribous. Où est-ce qu’on va aller pêcher? Si c’est sur la mer, c’est la chasse au phoque, au béluga. Le caribou est très important. C’est un exemple spécifique qui est très important, qui va nous aider d’avoir les nutritions qu’on a besoin, puis on le mange cru. Ça, c’est le meilleur chose à avoir, un caribou, de le manger cru, voir réfrigéré. Puis ça, c’est le meilleur chose. Parce que, il y a un mille ans, il n’y avait pas de réfrigération ou des poêles pour les cuire. Alors ça, c’est très spécial pour les Inuits. C’est vraiment un mode de vie. On sourit beaucoup. Ça fait à peu près 3000 à 4000 ans qu’on est ici dans la région, et nous, on l’appelle Nunavik.
Ariane Simard Côté: Pendant des milliers d’années, les Inuits du Nunavik ont vécu de manière nomade, suivant les saisons, les animaux, les plantes, les herbes et les baies que leur offraient la taïga et la toundra.
Tunu Napartuk: Chaque famille avait un camp dépendant Le saison. Si c’est hiver, ils sont dans une place où il y a plus de pêche, plus de poissons durant l’été, c’est très proche de la mer, de l’eau. Pour la chasse au phoque, la chasse aux bélugas. C’est vraiment une place où on apprécie l’environnement. Ce n’est pas les humains, ce n’est pas les Inuits qui vont donner la direction de quel genre de journée qu’ils vont avoir. C’est vraiment le temps. S’il fait beau ou à la chasser des fois. Durant le temps de nomade, les hommes chassaient pour plusieurs jours, plusieurs semaines, même des mois. Alors c’était vraiment c’était le mode de vie, la structure de la famille, la façon de faire des responsabilités d’un homme et d’une femme, les enfants. La structure des Inuits a été perfectionnée dans 3000 ans. Puis, tout d’un coup, il y a un autre groupe de personnes qui sont étrangers de notre environnement, de notre mode de vie, sont rentrés puis ont bousculé.
Ariane Simard Côté: Tout a changé dans les années 1950. A cette époque, le gouvernement canadien a forcé les Inuits à devenir sédentaires – un changement drastique qui les a obligés à abandonner le mode de vie qu’ils avaient connu pendant des générations.
Tunu Napartuk: Ont été mis dans des villages parce que le gouvernement voulait avoir une forme de contrôle pour nous supporter. Le changement a été très simple, mais compliqué en même temps. C’est vraiment le gouvernement, un autre groupe de personnes qui nous connaissent pas du tout, qui sont rentrés puis ont commencé à prendre des décisions eux-mêmes sans parler avec les Inuits qui ont l’expérience de ce genre de vie. Puis la première décision, c’était de nous mettre dans des petites communautés dans les villages pour qu’ils puissent avoir plus de contrôle.
Ariane Simard Côté: Après des milliers d’années à vivre de la terre, à suivre leur propre rythme et coutumes, les Inuits ont été forcés de s’adapter, de changer presque tout dans leur mode de vie. Et puis, comme si ça ne suffisait pas, seulement 20 ans plus tard, un autre changement majeur se profilait à l’horizon.
Robert Bourassa [ARCHIVAL]: Le développement de la Baie-James, mes chers amis. Et la clé du progrès économique du Québec.
Ariane Simard Côté: En 1971, le premier ministre libéral du Québec, Robert Bourassa, annonce le projet du siècle. Le Québec avait besoin d’emplois, d’argent, d’énergie. Et pour fournir tout ça, le gouvernement de Bourassa avait un plan. Alimenter le sud de la province grâce aux ressources du Nord. Le développement de la Baie-James commence peu après. Hydro-Québec lance rapidement la construction de gigantesques barrages hydroélectriques. Mais un problème se pose. Ces barrages allaient inonder les terres Inuits et Cris, transformant un paysage jusque-là intact et menaçant ces territoires et peuples ancestraux.
Tunu Napartuk: Dans les années 70, Bourassa a décidé, Oui, on va commencer le projet du Millénium. Pis c’est là. Sans consulter les élus. Puis les Cris, ils ont commencé de vraiment changer notre environnement. Pis l’environnement, c’est c’est chez nous, ça fait partie de notre identité. C’est un mode de vie qui est très, très important. On a besoin de terre, l’environnement, pour nous supporter. Puis quand il y avait un gouvernement qui a décidé tout un coup de changer notre environnement sans nous consulter, on avait besoin d’une voix.
Ariane Simard Côté: Avec les Cris d’Eeyou Istchee, ses voisins, le long de la Baie-James, les Inuits du Nunavik ont entamé une bataille juridique historique. Ils ont contesté le gouvernement du Québec pour obtenir une voix, le soutien du gouvernement, et la reconnaissance de leur droit de vivre sur leurs terres. Le combat a été long et ardu. Il a duré plus de quatre ans avec beaucoup d’embûches. Mais après des années de négociations, les Inuits et les Cris ont finalement réussi à conclure un accord avec le gouvernement. Le 11 novembre 1975, il y a 50 ans, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois a été signée.
Tunu Napartuk: Je suis né en 1972. La convention a été signée en 1975. Quand j’étais plus jeune, je dirais douze treize ans où je commençais à être curieux de façon, comment les décisions sont faites? C’est qui nos “leaders”? Dans ce temps-là, je pouvais commencer de comparer les Inuits de Nunavik avec d’autres Inuits comme Labrador ou Nunavut ou Territoire Nord-ouest. Alors, c’est là où je commençais à savoir, c’était quoi la convention de la Baie James?
Ariane Simard Côté: Le document original, un énorme livre rouge, accordait aux Inuits et aux Cris une compensation financière des droits exclusifs de chasse, de pêche et de piégeage sur des territoires désignés. Les communautés autochtones ont aussi reçu des droits en matière de gestion de terres, de santé et de services sociaux, établissant ainsi un cadre d’autonomie et de gestion foncière. Il a cependant fallu des années avant que ces services soient mis en place. Parallèlement, le gouvernement du Québec a obtenu le droit de développer une partie du vaste potentiel hydroélectrique de la région. Il est important de noter que les Cris et les Inuits ont vécu des expériences différentes avec la Convention de la Baie-James et du Nord québécois au cours des 50 dernières années. Tunu Napartuk, leader inuit du Nunavik, parle au nom de sa communauté. Dans la seconde partie de cet épisode, le grand chef d’Eeyou Istchee, Paul John Murdoch, parlera pour la sienne.
Tunu Napartuk: Pour moi, c’est simple. Encore, je dis souvent ça, c’est très compliqué aussi. La façon dont les négociations ont fonctionné dans ce temps-là a commencé dans le 72 à peu près avec Québec puis Canada. Les histoires des aînés qui étaient là puis qui parlaient de façon qui était négociée, je trouve ça très, très injuste. Mais, en même temps, la Convention de la Baie-James nous a donné beaucoup d’opportunités aujourd’hui. Après 50 ans, les choses qu’on a reçues, par exemple, l’éducation, étaient très importantes. C’était important que les Inuits soient éduqués à leur façon. Alors, notre commission scolaire Kativik a une façon de faire qui est assez différente d’autres commissions scolaires de la province. Alors, ça, c’était quelque chose qui était très, très important. On a travaillé fort pour ça. Aujourd’hui mes enfants peuvent graduer ici dans le Nord, mais ils vont aller à Montréal pour continuer leur éducation, aller au cégep ou à l’université. Les coûts sont couverts automatiquement. C’est disponible pour les Inuits puis les Cris dans le conventionnel. Alors, c’est un tel niveau que la convention a été très, très importante. D’avoir nos propres municipalités, d’avoir notre propre commission scolaire, la santé et les services sociaux… On a des représentants qui prennent l’édition en quelle direction les Inuits devraient recevoir un genre de service. Puis c’est payé par le gouvernement. Avec ça, comparer avec d’autres régions inuits dans le grand Nord, dans le pays. On a bien reçu, Mais à quel prix? Quand on a signé la Convention de la Baie-James, les gouvernements ont signé un contrat de nous supporter, d’avoir la base du support pour qu’on puisse être plus confortables, qu’on a des représentants qui prennent les décisions. Comment qu’on va fournir ces gens de service? Mais, en même temps, on a donné 95, 97 % de notre terre de la région Nunavik appartient officiellement au Québec. Ça ne nous appartient pas. On a les droits de chasser puis de décourager partout, il y a certaines régions qui sont uniquement retraitées pour qu’on puisse, autour de notre communauté, chasser. Ça fait partie de la Convention. Mais le reste, la catégorie trois, qu’on appelle, ça appartient au Québec, puis c’est Québec qui peut décider quoi faire avec.
Ariane Simard Côté: Le Nunavik a connu de nombreux changements positifs au cours des 50 dernières années, mais de sérieux défis demeurent. Les cicatrices des politiques d’assimilation du gouvernement canadien restent profondes. Selon un rapport publié en 2025 par l’Institut national de santé publique du Québec, le taux de suicide, bien qu’en diminution, est encore douze fois plus élevé que dans le reste de la province. Comme le souligne M. Napartuk dans son entrevue, aucune route ne relie le Nunavik au reste du Québec. l’Épicerie doit être transportée par avion ou par bateau depuis le Sud, ce qui entraîne des prix exorbitants dans les commerces locaux et dans une région où, il y a à peine 80 ans, les familles vivaient dans des igloos l’hiver et dans des tentes faites de peaux de caribous et de phoques l’été. La pénurie de logements est aujourd’hui devenue une véritable crise.
Tunu Napartuk: Les maisons. Il n’y a pas assez de maisons sociales. Quand j’étais plus jeune, je ne savais pas qu’on était dans une place, une région où les maisons sont conçues par le gouvernement. Ils sont tous construits, sont fournis, payés. Je pensais que c’était de même partout dans la province de Québec, il y a toutes les maisons pour voir sont supportées par le gouvernement. À un moment donné, j’ai su que, wow! À cause de la convention, on a des maisons sociales, puis il nous manque 800, 900 maisons, il nous manque dans les quatorze communautés. Alors, c’est quelque chose qui est un enjeu, un défi qui nous touche énormément dans chaque perspective de quel genre de journée on va avoir aujourd’hui.
Ariane Simard Côté: Pour Tunu et les autres leaders de sa communauté, la voit pour résoudre ses problèmes et améliorer la vie au Nunavik est clair.
Tunu Napartuk: D’avoir notre propre gouvernement. Ceci est un défi que j’ai présentement avec mes collègues, de s’asseoir avec les niveaux de gouvernement, de trouver une façon que les Inuits pourraient avoir leur propre gouvernement.
Ariane Simard Côté: Comme le dit l’expression, il y a toujours deux versions à une même histoire. Et quand il s’agit de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, ces deux perspectives sont particulièrement importantes pour nous offrir le point de vue Cris, le grand chef d’Eeyou Istchee, Paul John Murdoch se joint à nous. M. Murdoch, merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui. Donc, en fait, tout a commencé en 1971. Donc quand les Cris ont poursuivi le gouvernement du Québec devant les tribunaux. Alors, selon vous, Monsieur Murdoch, quel avenir voulaient-ils assurer à leur peuple en défendant leurs droits face au projet de la Baie James?
Paul John Murdoch: C’est particulier. Je vous regarde aussi, pas juste comme un cri, mais aussi comme avocat formé en droit. Or, quand ils défendent nos droits, c’est très important qu’on se mette dans le contexte 1971. Le titre des Autochtones n’était même pas reconnu, il n’y avait aucun procès qui était au Cour suprême pour aider à définir, c’est quoi un autochtone? C’est quoi des droits ancestraux? Il n’y avait rien de tout ça.
Ariane Simard Côté: Oui.
Paul John Murdoch: Même les gens, ils se sont étonnés que, en 1971, il n’y avait aucune loi pour leur protection dans l’événement.
Ariane Simard Côté: Oui, c’est ça.
Paul John Murdoch: À cette époque là, quand tu voulais développer quelque chose, un ministre te donnait un permis, pis là tu arrivais avec des tracteurs. Alors, c’était pas juste un défi pour l’écrit. Je pense que, en Amérique du Nord, c’était le début de: Mais, qui va parler pour le territoire? Qui va parler des animaux? Qui va parler pour les populations qui vivent sur le territoire? Et la nation Cris confrontaient des mégas projets. Et notre existence n’était même pas reconnue. Une histoire, si vous me permettez. J’ai travaillé avec le grand chef Ted Moses. Quand j’ai commencé au Grand Conseil en 98 et en écoutant Grand chef Ted Moses et Billy Diamond, qui était mon oncle, conter des histoires de cette époque là, et quand eux, ils voulaient rencontrer quelqu’un du gouvernement de Québec, il fallait prendre un hydravion de Eastmain pour Ted Moses, y allait à Fort Rupert, qui est aujourd’hui Waskaganish.
Après ça, ils allaient à Moosonee, en Ontario, pour prendre le train de Moosonee à Timmons, pour prendre l’avion de Timmons à Toronto pour prendre l’avion de Toronto à Québec. Et c’est comme ça que tu te rendais pour négocier avec le gouvernement de Québec quand tu étais supposément dans la même province. Alors, juste cette image là, j’imagine, à cette époque là, comment les gens se sentaient tellement loin du gouvernement et comment se sentaient tellement, pas dire farfelus, mais que quelqu’un si loin allait les féliciter quelque chose si important sur ton territoire sans être sur son territoire, puis sans sans te parler, sans même savoir où tu vis. C’était ça le contexte en ‘71.
Ariane Simard Côté: Wow, Ça a été une bataille très longue et ardue. De quelle manière le gouvernement du Québec a résisté, en fait, aux efforts des Cris et des Inuits?
Paul John Murdoch: J’ai l’impression, en essayant d’être le plus diplomate possible. J’ai pas l’impression qu’il y avait résistance autant que l’ignorance et le déni. Ça a été mon grand-père, avec mon oncle, qui sont allés voir le Premier ministre Bourassa après qu’il a fait l’annonce du projet du siècle, et ils ont été avec beaucoup de respect. Le trajet que je vis, le décrire pour dire, “Hé, on est ici, il faut nous prendre en considération.” C’était très protocolaire comme réunion. Alors, chez nous, c’est souvent le plus important ou l’aîné qui va parler en dernier pour pour donner le mot final. Et quand ils ont rencontré le Premier ministre, j’imagine, il n’était pas briefé, mais briefé par quoi? Ça n’existait pas les lois, tout ça. Ça, ça n’existait pas. Alors quel positionnement est-ce qu’il aurait reçu? Et quand c’est arrivé le temps de mon grand-père pour parler, la Première ministre disait “Regard, je suis en retard pour ma prochaine réunion. De toute façon, vous avez juste des privilèges et j’ai plus le temps pour vous autres.” L’ insulte personnelle. Et c’est à ce moment-là que mon grand-père a tourné à mon oncle, puis il a dit, “Ok, on a tout fait qu’on pouvait. Maintenant ça va être à toi d’utiliser tout ce que tu as été enseigné à l’école pour comment utiliser les droits du gouvernement contre lui même. Parce qu’il ne veut pas écouter.”
Ariane Simard Côté: Ouf!
Paul John Murdoch: Alors ça, c’était le point de départ.
Ariane Simard Côté: Waouh! Quel privilège on a de que vous soyez si près de cette histoire. D’ailleurs aussi dans le cadre de ce dossier, on a discuté avec l’avocat James O’Reilly qui nous a raconté que pour en arriver à la signature de l’accord, il y avait eu plus de 200 séances de négociations et que plus de 300 personnes y ont participé. Donc, autrement dit, les Cris et les Inuits ont persévéré pendant des années et ont finalement réussi. Et si on aimerait savoir comment ils y sont parvenus, en fait?
Paul John Murdoch: C’est drôle, Maître O’Reilly est tellement modeste et pas modeste en même temps. Mais, dire qu’un avocat est modeste, tout le monde va dire non, impossible. Et il y a une modestie de Maître O’Reilly parce que je pense que, tu sais, quand tu vis quelque chose, il y a certaines choses que tu prends pour acquis. J’ai eu le privilège une fois de l’interviewer dans une conférence, puis on a eu un échange que j’étais tellement content qu’il y avait des jeunes avocats qui l’entendaient ce qu’il disait, même si lui même il ne savait pas de qu’est ce qu’il disait? Parce que Maître O’Reilly était un jeune avocat qui travaillait chez Stikeman en ‘71, parce qu’il y avait deux avocats dans tout le Québec qui représentaient des autochtones.
Ariane Simard Côté: Hmm.
Paul John Murdoch: Deux.
Ariane Simard Côté: Deux!
Paul John Murdoch: Oui. Il était un. Il connaissait des autochtones. Alors, mon oncle, il a eu son nom. Un jeune avocat à Stikeman, super intelligent et statement, reçoit un mandat pour représenter une division d’Hydro-Québec. Alors, il se peut dire, “Il faut que tu prends un choix. Soit tu vas rester ici à Stikeman, puis tu ne peux pas travailler avec les Cris. Ou tu veux travailler avec les Cris, mais il faut que tu quittes.
Ariane Simard Côté: Wow!
Paul John Murdoch: Ah, il dit “J’ai quitté Stikeman, pis là j’ai travaillé pour les Cris. Il y en a une et là il est là, signifie tout ce que tu viens d’expliquer, les réunions pis tout ça. Puis j’ai dit, “Non, non, non, attends. Tu as été un jeune avocat, tu avais des enfants, il y avait une jeune femme. Puis là tu décides de quitter un cabinet pour aller travailler dans un domaine de droit qui n’existe pas. Il n’y a pas de droits autochtones, Il n’y a pas de section 35 de constitution. Tu es complètement dans le vide.” Et il m’a dit, il a dit, “J’ai parlé avec ma femme. And we couldn’t let the boys down. On ne pouvait pas laisser tomber les gars.” J’ai dit: Mais qu’est ce que tu veux dire par ça? Là, il m’a dit, “Mais, ton oncle Billy, Albert, Teddy, ils étaient tellement jeunes.” Il a dit, “Non, on ne pouvait pas les laisser toute seule, alors…” Mais imagine le sacrifice professionnel de sauter dans le vide parce que tu sens une obligation morale! Mais, c’est ça qui te motive à faire 300 réunions de négociation, ensuite. Des séances de consultation publique quand il faut que tu prennes un hydravion, un train, un avion, tout ça. Et la raison pourquoi tu réussis et tu es capable de faire des choses comme ça, quand tu es dans une communauté, une réunion publique, mais la population sent, ils sent comment c’est grave, puis c’est important, puis on va avoir des réunions qui commencent à 9 h du matin puis termine à 5 h du matin parce qu’il faut que tout le monde parle, il faut que tout le monde soit entendu. C’est faisable parce qu’on parle de la vie, d’un mode de vie, d’une langue, de l’existence d’un peuple. Alors oui, c’est là où on réussit à trouver de l’énergie. Je pense pas qu’il y avait Red Bull en ‘71. C’est ça que ça prend.
Ariane Simard Côté: Un thé, un café. Mais en fait, de ce que je comprends, c’est le sentiment d’appartenance, c’est le lien, c’est la puissance du lien et de la relation, de vouloir garder cette relation là vivante, puis de le sentiment avec ses pairs de se battre pour ses pairs, pour une communauté, pour un territoire. C’est ce sentiment d’appartenance qui donne cette énergie là et ce feu là.
Paul John Murdoch: Absolument.
Ariane Simard Côté: Écoutez, c’est passionnant. D’ailleurs, l’accord de la Baie-James et du Nord québécois est considéré comme le premier traité moderne du Canada. En soi, qu’est ce qui le rend si monumental?
Paul John Murdoch: C’est un moment en histoire, une longue histoire entre le gouvernement du Canada ou le peuple du Canada, puis les autochtones. Moi, je pense que c’était important parce que ça a marqué la fin de 200 ans d’exclusion et d’isolation. On avait des traités numérotés qu’on appelle Treaty One, Treaty Two… Tous ces traités là, mais qui était négocié en 1800, quelque chose. Et il y a vraiment une ségrégation, une isolation qui se passe entre les deux peuples non autochtones et autochtones. Convention de Baie-James, sa signature en ’75. Les gens souvent y sous-estiment quelle partie de l’entente capte l’attention de la communauté autochtone. Du côté autochtone, un traité. Mais maintenant, tant de répercussions, c’est une entente de relation. C’est l’établissement d’une relation. Ce n’est pas vu comme une transaction. Nos concepts de propriété, nos concepts de dettes, risques, crédit sont très différents et c’est difficile de communiquer une transaction sans relation dans un contexte autochtone. Alors, pour la nation Cris, et c’est comme ça que moi j’ai grandi, en écoutant mon grand chef, mon oncle, mes chefs, parler, c’est une relation. Le défi, c’est que l’autre partie pense que c’est une transaction, que c’est un règlement, c’est une quittance. On finalise quelque chose pour que nous on puisse procéder à quelque chose, puis c’est fini, on n’aura plus besoin de parler parce qu’on a bien des choses qu’on veut faire. Ça, c’est une formule pour une relation difficile pour les années qui suivent. Alors, je pense que la convention de Baie James, c’est un point important dans notre histoire. Mais il ne faut pas oublier que c’est un point. C’est un événement dans notre relation. Mais ça a pris— 2002—ça a pris 27 ans pour que quelqu’un réveille au ministère, au gouvernement et dire Ouais, peut-être qu’on a manqué notre coup. Puis il y a une partie de relation qui manque, et c’est pour ça que l’entente qui suit, qui donne vie, d’après moi, la convention de la Baie James, c’est l’entente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement de Québec et l’église de Québec.
Ariane Simard Côté: Ben justement, en fait, je me questionnais. Grand Chef Murdoch, vous êtes né en 1971, seulement quatre ans avant la signature de l’accord. Vous avez travaillé pendant des années comme avocat, puis vous êtes aujourd’hui grand chef de la nation Cris. Selon vous, comment l’accord a transformé la vie des Cris d’Eeyou Istchee?
Paul John Murdoch: Hmm. Qu’est-ce qui m’inspire? Puis c’est drôle, j’ai eu des réunions cette semaine, puis on parlait des sujets extrêmement difficiles, beaucoup de problèmes sociaux, de consommation, violence. Mais malgré tout ça, il y a quand même un espoir qui est dans une réunion avec tous les chefs de toutes mes communautés hier, et on parlait de nos problèmes sociaux et on penserait qu’après une réunion comme ça, on serait pas mal déprimés. Faire un bilan de tous les problèmes sociaux qu’on a. Mais on a sorti de la réunion inspiré, parce qu’on parlait des outils que nous avons à nos disposition et comment on allait travailler pour aborder ces problèmes-là. Ça, c’est très différent pour une communauté autochtone sans traité, géré par la Loi sur les Indiens, qui a très peu d’outils, très peu de pouvoir qui faut, qui demande permission au ministres, qui faut qu’il demande la permission à un député, ministre ou un agent ou Indigenous Services Canada. Alors on est dans une autre situation. L’autre chose qu’il ne faut pas oublier, il ne faut jamais oublier le point où ce qu’on est dans l’histoire. 1763, les Autochtones et les Autochtones au Canada sont séparés. Les autochtones sont isolés. C’est le début de, pn sort des Autochtones de l’économie canadien. Il n’y a rien qui se passe pendant 100 ans. On commence à avoir un problème. 100 ans de isolation. Imagine la dévastation, développement économique puis développement politique. Alors, il faut adopter la Loi sur les Indiens parce qu’on a une population que légalement, on n’a pas le droit de participer dans l’économie canadien. Alors, on adopte la Loi sur les Indiens pour gérer la situation. Un autre 100 ans, presque. Là, on arrive aux Conventions de Baie-James. Alors, on parle d’à peu près 250 ans d’isolation économique et on décide en ‘75: OK, Go! Vous êtes égaux. Maintenant on vous donne les outils, vous pouvez développer, vous pouvez parler comme nous autres. Mais quand on commence une course il y a 250 ans, il faut que celui qui commence la course 250 ans en retard, faut qu’il court, ça serait inhumain. Qu’est ce qu’on demande? Moi j’étais né en 71. La convention de Baie James, signée en 75. La loi sur les Cris et les Naskapis pour remplacer la loi sur les Indiens est adoptée en 1984. Alors ça veut dire on signe notre traité et c’est que neuf ans après qu’une loi a été adoptée pour mettre en œuvre certaines dispositions du traité, alors, de ‘71 à ma naissance à ‘95, il n’y a rien qui a changé. Une communauté typique, en vertu de la Loi sur les Indiens, là, on a tous les pouvoirs et aucune ressource.
Ariane Simard Côté: C’est ça.
Paul John Murdoch: La question des ressources est réglée en 2002. Alors, dire à quelqu’un, “Tu as le pouvoir de faire ce que tu veux, mais on te donne aucune ressource financière pour la faire.” Alors l’évolution, c’est lent. Mais, c’est drôle, je parlais avec un chef hier, puis il a dit qu’il ne faut pas oublier que la Convention de Baie-James représente un moment le début d’une évolution violente dans nos communautés.
Ariane Simard Côté: Okay.
Paul John Murdoch: Et je ne veux pas dire violent dans le sens péjoratif. Je ne condamne pas l’évolution. Mais évolution, pour n’importe quelle communauté, c’est extrêmement difficile. Regarde l’évolution des médias sociaux et comment les États-Unis et Canada, on gère ça. Imagine ça, fois 1000. Alors, l’évolution sur nos communautés est extrêmement difficile. C’est juste dans les journées récentes, Mais je suis très, très inspiré d’aller à cette époque là, d’aller à vous ce qu’on est aujourd’hui et de commencer à ‘75, j’avais quatre ans, tous mes cousins et j’avais beaucoup de cousins vivaient dans des tentes, personne vivait dans un instant. Alors on regarde ça et où ce qu’on est aujourd’hui. Il y a des moments difficiles, mais c’est violent de demander à une communauté d’évoluer à cette vitesse là. Mais comme j’ai dit, à la fin de la journée, pleine d’espoir avec les pouvoirs qu’on a pour déterminer notre propre destin.
Ariane Simard Côté: C’est beau, c’est beau d’entendre votre espoir à travers tous ces efforts qui mènent, qui portent fruit en fait.
Paul John Murdoch: Oui.
Ariane Simard Côté: D’ailleurs, pour prendre un peu de recul par rapport à la Baie James, puis adopter une perspective plus nationale. Selon vous, quel est l’impact de l’accord de la Baie-James et du Nord québécois sur les autres communautés autochtones, tant du Québec que du reste du Canada?
Paul John Murdoch: Négocier une entente, n’importe quelle entente, c’est une décision majeure pour le parti qui signe l’entente. Et pour les Autochtones, c’était une première. Moi, j’ai étudié dans l’Ouest. J’ai des collègues aujourd’hui qui sont avocats autochtones, et c’est toujours un défi parce que qu’est ce qu’un fait va avoir un impact sur l’autre? J’ai eu le grand honneur de m’asseoir avec Robert Kanatewat, à plusieurs reprises. C’est lui le chef qui a sonné l’alarme, puis a convoqué tous les chefs ensemble. C’est lui qui a signé pour sa communauté de toute sa vie. Et c’est lui qui était un peu le héros des jeunes chefs comme Billy Diamond, Philip Awashish. Et on est tellement choyés de l’avoir encore accès à ce monsieur là. Et je lui ai demandé récemment, “Peux tu me parler pas d’une convention de Baie-James parce que tout le monde est fixé un peu sur la signature, mais un peu ce qui se passait avant et qu’est ce qui se passait après,” pour essayer de comprendre le contexte un peu.
Paul John Murdoch: Et il m’a dit que les autres nations étaient enragées quand la nation créa aussi la Convention de Baie-James, parce qu’il y avait des choses dans la convention, il y avait des précédents qui étaient vraiment pas contents. Et je pense qu’il était inquiet du précédent que ça allait imposer sur eux autres.
Ariane Simard Côté: Bien sûr.
Paul John Murdoch: De l’extérieur, je comprends l’inquiétude, mais de l’intérieur, la convention de Beijing, pour nous, c’était pas un document statique. C’est une relation, ça va évoluer. Il y a plein de langage dedans qui se prête à évolution, mais interprétation avec le temps. Juste ce matin, j’ai eu une réunion pour parler du potentielle 30ᵉ Amendements aux Convention de Baie-James. Alors, je pense que les autres communautés n’étaient vraiment pas contents quand ils ont vu ce qui était fini, mais eux, ils ne voyaient pas. Peut être qu’ils voyaient autant comme une transaction que que le gouvernement à l’époque, qui ne comprenait pas que non, pour nous ça aurait été une question de relation. Oui, c’est pas parfait. Oui, il y a des choses dedans qui ne marchent pas, mais comme n’importe quelle relation, on va travailler ensemble jusqu’à temps qu’on trouve une solution. Alors au niveau national, je pense que c’était bon, que ça souligne que c’est possible, un traité de cette envergure là, entre une population et un autre. Personnellement, je pense que ça les a aidés, qui ont rejeté l’entente lui-même pour dire, “Non, non, nous, on veut autre chose.” Parce que dans mon travail, une des pires choses que j’ai eu, j’ai négocié une on entend opinion personnelle et ça a été confirmé un peu. C’était une entente que tout le monde dit, “Wow! C’est une très bonne entente.” Alors, quelqu’un d’autre l’a pris, ils ont changé les noms, puis ils pensaient que ça allait être aussi bon pour eux. Mais ce n’est pas l’entente. C’est le travail que tu fais qui arrive à l’entente, qui donne de la valeur à l’entente après. De juste prendre une copie coller, changer le nom. Surtout quand on parle d’une relation, mais ça ne marcherait pas. Alors, le fait que les gens étaient inspirés par la possibilité de l’entente, mais pas dans l’entente lui-même, je pense que ça les a servis, parce que s’ils ont essayé de faire copier coller, ça ne marchait jamais.
Ariane Simard Côté: Parce que c’est la relation.
Paul John Murdoch: Oui, c’est la relation. Ils nous ont fait assez de misère pour les 30 ans après, de faire souvenir à notre à nos partenaires, d’entendre que c’est une entente de relation, puis c’est pas une transaction.
Ariane Simard Côté: Hein, c’est ça, hein, ça a été, euh, ça a été quand même assez pénible de rappeler, de dire, “On doit continuer le dialogue, ça doit être évolutif. On va continuer de se faire confiance mutuellement et d’avoir ces échanges là qui fait qu’on apprend à se connaître là dedans puis qu’on va éventuellement arriver à une entente convenable pour les deux…”
Paul John Murdoch: Imagine le défi et le courage pour l’échec dans les années ‘80-90. Qu’on signe un entente qui promet de changement. Il n’y a absolument rien qui se passe dans nos communautés. Mais toutes les routes, puis les réservoirs, puis les barrages sont construits.
Ariane Simard Côté: Aoutch!
Paul John Murdoch: Puis tu essaies de convaincre ta population? Non. Ça vaut la peine de continuer d’essayer.
Ariane Simard Côté: Hmm. Écoutez, c’est fascinant, vous écoutez parler. On arrive déjà à la fin du balado. J’en écouterais encore pendant vraiment longtemps. Mais quel privilège que d’être près de quelqu’un qui a suivi de si près cette entente là, puis de la voir évoluer. C’est c’est encourageant quand même, malgré tout ce qu’on peut en dire, d’entendre cet espoir à travers ça puis de dire le dialogue, il est toujours là. Puis, en fait, la communauté et les communautés autochtones vont bénéficier grandement, sur le long terme, de cette entente et de ce traité.
Paul John Murdoch: Merci beaucoup pour l’opportunité de partager.
Ariane Simard Côté: Merci beaucoup, Grand chef Paul John Murdoch, d’avoir été avec nous pour avoir discuté de ces sujets si importants et qui sont encore toujours d’actualité.
Paul John Murdoch: [Speaking Cree]
Ariane Simard Côté: Merci d’avoir écouté Voyages dans l’histoire canadienne. Ce balado est financé par le gouvernement du Canada et créé par le Walrus Lab. Les transcriptions seront disponibles en anglais et en français. Pour les consulter, rendez-vous sur le site de The Walrus à l’adresse The Walrus.ca/CanadianHeritage. Cet épisode a été produit par Jules Ownby qui a également réalisé la conception sonore. Amanda Cupido en est la productrice exécutive.